Finale Slam France-Québec - L'Enfant sourd
L'ENFANT SOURD
Mon fils, tu es né sous le signe du silence
Et déjà dans ton enfance
Tu ne parlais qu'à l'ombre d'une bougie
Il y a des remparts qu'on ne saurait briser
De forteresses de l'âme qu'on ne peut conjurer
Des parcelles d'espoir qu'on cultive en secret
Des mots qu'on laisse échoir sur un tableau sans craie
Y'a trop d'gens qui se taisent, trop d'enfants de la nuit
Trop de talents qu'on lèse et qu'on laisse à l'ennui
Et tu es de ceux-là qu'on préfère ignorer
Et tu es de ceux-là qu'on ne veut regarder
T'auras beau t'dépasser, donner tout de ton être
Tu s'ras jamais qu'un homme sans noblesse de lettre
Un p'tit garçon muet qui parle avec ses mains
Un p'tit pantin paumé entre hier et demain
T'as un mur dans la gorge et des briques dans la paume
Un océan d'ciment celant tant d'hématomes
Des blessures du temps et du silence en prime
Qui te sépare encore du verbe et de la rime
Alors cesse de penser que tu auras un jour
Le courage insolent dont tu rêves toujours
D'escalader l'autel de la gloire oratrice
Et de panser enfin l'éternelle cicatrice
Celle qui creuse en ta verve mutique
D'exister autrement que par quelques mimiques
Tu voudrais écrire, crier, signer, c'est bien
Mais les mots t'y connais rien
Tu t'mettras nu à genoux, à supplier
Qu'il y ait quelqu'un enfin qui veuille te regarder
Et pour quoi ? Pour un peu moins de solitude ?
Pour récolter médailles et bouquets de lauriers ?
A quoi bon ? Et pour quel foutu avenir ?
Dans dix ans tu s'ras quoi ? Faudrait y réfléchir !
Tu voudrais parler, slamer à t'en rompre le bec
Publier un livre ou partir à Québec ?
Tu n'auras que les rires, les moqueries, les insultes
L'ombre des projos et des regards incultes
Comme si tu pouvais faire de la littérature
En croyant que ton zèle embellit tes ratures
Mon fils, tu es né sous le signe du silence
Et depuis ton enfance
Jusqu'à Paris ce soir
Je ne suis pas là pour te voir